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Bienvenue à Calais

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Bienvenue à Calais

Pour des milliers de personnes qui ont fui la guerre et la persécution dans leur pays d'origine, le port français de Calais s'apparente à un point de non retour.
4 Décembre 2014
Réfugiés syriens s'éveillant devant la façade d'une église de Calais, France.

De sombres nuages s'accumulent sur Calais. Dans la bruine, un ferry qui assure la liaison avec Douvres, en Angleterre, quitte lentement le port, sa sirène retentissant dans les rues de cette petite ville française. Je me demande, en l'observant de ma fenêtre d'hôtel, si Mohamed a tenu le coup dans les températures glaciales de la nuit dernière, si Ahmed a réussi à monter à bord ce matin, et si Ali a même eu la force d'essayer.

Ces dernières années, le port de Calais est devenu un pôle d'attraction pour les migrants et les réfugiés. La ville compte actuellement près de 2 300 personnes qui vivent dans la rue ou dans des squats, dans des conditions déplorables. Beaucoup sont ici dans l'espoir de trouver la sécurité au Royaume Uni, après avoir parcouru des milliers de milles pour échapper à la guerre ou à la persécution dans leur pays d'origine. Jusqu'ici, l'Europe ne leur a offert que peu d'aide. La majorité sont des hommes - de Syrie, d'Afghanistan, d'Érythrée, d'Iraq, du Soudan et d'ailleurs - mais il y a également des femmes et des enfants. Venus chercher refuge, ils n'ont découvert que de nouvelles abominations.

Dans les deux principaux camps de fortune, les conditions d'existence sont plus dégradées que jamais. Les tentes sont déchirées et dépenaillées, les déchets s'amoncellent et le sol est boueux et détrempé. Beaucoup de personnes sont malades. La plupart attendent la tombée de la nuit pour tenter encore une fois de traverser la Manche. S'ils échouent, ils jurent de réessayer le lendemain.

Mais la population croissante de migrants et de réfugiés alimente les tensions dans la collectivité locale, ce qui a incité la maire à lancer un plaidoyer pour l'action. Une situation qui par ailleurs entraîne une surcharge pour les organismes de bienfaisance. Le HCR travaille avec le Gouvernement français pour offrir des alternatives au départ en Angleterre. Ce dernier a commencé à renforcer sa capacité de traitement des demandes d'asile et à offrir des places d'hébergement temporaire aux demandeurs d'asile.

Aujourd'hui - une froide matinée hivernale de novembre - je fais mes bagages pour partir. Beaucoup d'autres ici n'ont plus rien ni nulle part où aller.

Bienvenue à Calais.

Il y a trois ans, Ahmed, 29 ans, avait un avenir dans sa ville natale de Damas. Maintenant, après avoir fui la guerre, il est bloqué à Calais dans l'espoir de passer au Royaume Uni.

Le joueur

« Kate! », m'interpelle Ahmed, tandis que je me presse sous la pluie pour atteindre le porche de l'église qu'il appelle en ce moment sa maison. « Te souviens tu de Resident Evil? »

Je ris et m'assois. Au cours des derniers jours, Ahmed et moi avons noué des liens à la faveur d'une passion commune pour les jeux vidéo d'épouvante des années 90. « Ça, c'était un super jeu », j'acquiesce, et il hoche la tête avec enthousiasme. « J'ai joué pratiquement à tous ces jeux », dit-il.

C'était avant que la guerre en Syrie ne le force à fuir sa maison. Maintenant, il vit dans la rue à Calais, espérant trouver la sécurité en Angleterre, mais à mesure que les mesures de sécurité se renforcent ici, ses rêves s'évanouissent lentement.

« J'étais au port ce matin à l'ouverture à cinq heures », me dit il, exhalant de la buée dans l'air froid du matin. « Ils ont attrapé pas loin de 25 personne à l'intérieur des camions. Personne n'a réussi à passer. C'est désormais impossible de traverser. »

Il y a trois ans, dans son coin de pays à Damas, Ahmed avait un avenir. Aujourd'hui, il n'a plus grand-chose pour en témoigner à part son diplôme d'une école de médecine vétérinaire. Il a porté le document sur lui tout au long de son périple depuis le Liban, l'Algérie, la Tunisie, la Libye, l'Italie et, finalement, la France.

« Ma famille, ma rue, ma maison me manquent », dit il, tandis que la pluie s'infiltre dans son sac de couchage en lambeaux. « Ça ne me plaît pas ici. Si je pouvais retourner en Syrie, je partirais aujourd'hui. Même avec la guerre, c'est mieux. Au moins là bas quand on se fait tuer, on garde son honneur. Ici, on dort, dépouillé de toute dignité. »

Mais même si l'espoir d'Ahmed s'amenuise, sa résilience, son charme et sa bonne humeur transparaissent. Tandis que, sur les marches de l'église, je le serre dans mes bras en guise de dernier au revoir avant mon départ pour Londres - un privilège qui m'est conféré du seul hasard de la naissance - il me fait un clin d'oeil. « Demain je vais à Londres », dit il. « J'y serai dans la matinée. On se voit là. »

Mohamed, 29 ans, a fui la guerre au Darfour où il travaillait à l'ONU pour enseigner aux déplacés internes comment construire des maisons. Maintenant, il est bloqué à Calais, aux prises avec une toux persistante.

L'humanitaire

Le camp de fortune, communément appelé Tioxide, est la dernière chose qu'on s'attendrait à voir à Calais. Ce qui étaient autrefois un terrain de soccer et un gymnase laissent place aujourd'hui à un sordide campement, avec des tentes encombrées jusque dans les moindres recoins et des déchets qui s'amoncellent sur son périmètre. Mohamed, qui a fui le Soudan l'année dernière, vit ici depuis presque trois mois.

« Nous avons fui les problèmes », me dit-il un après-midi, tandis que nous traversons péniblement le champ détrempé jusqu'à sa tente. « Mais nous sommes tombés dans un autre bourbier ici en France. »

Sous la bâche verte déchirée, la pluie imprègne tout. Même le sac de couchage de Mohamed n'a pas échappé au déluge, lui qui est aux prises avec une toux persistante. « La plupart des personnes dans ces camps ont froid parce que le temps est exécrable », explique-t-il. Un coup d'oeil autour suffit à faire comprendre pourquoi.

Il exhibe une plaquette de pilules qui, à y regarder de plus près, se révèle n'être rien de plus que du paracétamol. « C'est le médicament qui sert à tous les maux. Ils le donnent pour n'importe quoi. La tête, les bras, les jambes, le paludisme. Et c'est ça, l'Europe? »

« Nous avons fui les problèmes », me dit-il. « Mais nous sommes tombés dans un autre bourbier ici en France. »

C'est en avril que Mohamed a décidé de quitter le Soudan déchiré par la guerre. Il s'est d'abord enfui en Libye et a ensuite traversé la mer Méditerranée jusqu'en Italie. Bien des années avant, il travaillait avec les Nations Unies au Darfour pour enseigner aux personnes déplacées à construire des maisons. Il fouille dans sa poche et en sort sa précieuse tablette Samsung, enveloppée dans un sac de plastique. « Venez, dit-il. Je vais vous montrer mes activités au Darfour. »

Assis côte à côte, il fait défiler des photos de jours plus heureux et sourit pour la première fois depuis que nous nous sommes rencontrés. Il me montre sa famille, ses amis, ses attestations. Je me demande ce qu'il doit ressentir après avoir fui la guerre au Soudan pour venir s'enliser dans des difficultés comme celles-ci. « Je trouve que l'Europe n'est pas accueillante, dit-il. La France ne me donne pas de titre de séjour, alors j'ai beaucoup de problèmes. »

Il soupire, avec mélancolie, tandis que clignote le voyant lumineux de la batterie faiblissante de sa tablette. « Que faire? Que faire? Je veux juste une bonne vie. »

Ali était auparavant professeur d'anglais en Syrie. Maintenant, il est bloqué dans les rues de Calais, espérant monter clandestinement à bord d'un camion en direction du Royaume-Uni pour y trouver la sécurité.

Le professeur d'anglais

C'est par une froide nuit de novembre que je rencontre Ali* pour la première fois, à l'extérieur du quai de chargement de l'usine où de nombreux Syriens comme lui dorment dehors. « J'étais professeur d'anglais », dit-il tout en serrant de plus près son sac de couchage. « Maintenant je suis sans abri. »

J'éprouve immédiatement de la sympathie pour lui. Il est plus petit que les autres, avec des yeux marron pétillants et un large sourire. Après avoir fui la guerre en Syrie, il a bravé le péril du voyage jusqu'à Calais, où il vit depuis un mois. Lors de la distribution du repas du soir, où une organisation de bienfaisance appelée Salam distribue des plateaux de poulet au curry, il insiste pour que je partage son plat. « Je vous invite », dit-il, en souriant. « L'égalité règne ici. »

Le jour suivant, je rencontre à nouveau Ali à Tioxide, le camp de fortune situé en périphérie de la ville, qui abrite essentiellement des migrants du Soudan. Bien qu'il boite légèrement - résultat d'une tentative ratée de monter clandestinement à bord d'un camion - il tient à me servir de guide. « Vous voilà donc dans notre jungle », dit-il en riant. « Venez. J'aimerais vous montrer le restaurant. »

Lors de la distribution du repas du soir, il insiste pour que je partage son plat de poulet au curry. « Je vous invite », dit-il, en souriant. « L'égalité règne ici. »

Je suis abasourdie par ce que je vois, mais non je ne rêve pas : un abri en bois rudimentaire recouvert d'une bâche, où deux jeunes filles érythréennes servent la soupe et le thé. Et, à côté, un coiffeur. « Il est si élégant », s'émerveille Ali, rayonnant, tandis que nous regardons le jeune Éthiopien raser la barbe d'un homme avec une minuscule lame de rasoir. « C'est tout ce qu'il a comme instrument. C'est inouï! »

Plus tard, lorsque je demande à Ali de me raconter ses souvenirs de la Syrie, il sourit. « J'avais l'habitude de prendre un petit café avant mes cours du matin. Oh, c'était merveilleux! »

Mais son sourire s'évanouit lorsque j'aborde l'avenir. « Je dis à mes amis que j'espère mourir dans mon pays, dit-il. Les gens meurent chaque jour ici, croyez-moi. »

De nombreux conducteurs de camion, comme cet homme, traversent fréquemment la Manche et ils sont inquiets de la situation à Calai. Ils veulent qu'une solution soit trouvée.

Le conducteur de camion

Pour de nombreux migrants ici à Calais, la seule façon de traverser la Manche est à l'arrière d'un camion ou sous l'essieu. Ainsi, lorsqu'un conducteur de camion espagnol s'avance dans ma direction pendant que je parle à Ahmed, un Syrien, je ne suis pas sûre de ce que m'attend. Mais, il se trouve qu'Ahmed le reconnaît.

« Tu m'as vu? » demande Ahmed, sur un ton animé. « Pas toi! », répond le conducteur, avec un sourire. Quand il retire ses lunettes de soleil, je découvre de grands cernes noirs autour de ses yeux. Il nous annonce qu'il roule vers le Maroc. « Ça vous dirait de venir? », plaisante-t-il.

Son camion, garé à proximité, nous surplombe. Les roues sont presque aussi grandes que moi, et Ahmed m'indique un endroit sous l'essieu avant où il a vu récemment un des migrants se cacher. « Je vois beaucoup de gens faire ça ici. Au Maroc aussi. »

Je me demande ce qu'il pense de la situation à Calais, en tant que protagoniste en première ligne. « Ce n'est pas normal de voir des gens vivre comme ça », dit-il, en faisant un geste vers le quai de chargement tout près, où campent environ 20 migrants syriens. « Ce n'est pas la solution, ni pour nous ni pour eux. Je ne veux personne sous mon camion. Pour moi, c'est un énorme risque. S'ils tombent ou glissent, je suis responsable. »

Le conducteur me dit que beaucoup d'entreprises interdisent maintenant à leurs employés de s'arrêter à Calais. « Si vous découvrez des migrants après avoir traversé, vous avez un gros problème », explique-t-il. « Vous écopez d'une amende 2 000 £ pour chacun d'entre eux. »

Pour le moment, il assure la liaison avec le Maroc, mais bientôt il reviendra à Calais et traversera de nouveau vers l'Angleterre. « C'est très compliqué pour nous », dit-il avec un soupir.

Luc, un résident local, a récemment acheté une maison à Calais, mais dit qu'elle a perdu 30% de sa valeur à la suite des tensions. Maintenant il s'inquiète pour l'avenir.

Le résident local

Luc* fouille dans le coffre de sa voiture lorsque je tombe sur lui par hasard un jour que je me promène dans les petites rues de Calais. Plutôt avenant, il prend le temps de réfléchir lorsque je lui demande ce qu'il pense du nombre croissant de migrants et de réfugiés ici. « Je comprends que ça va mal dans leur pays et qu'ils n'ont pas d'autre choix que de vivre ici », dit-il, avec hésitation. « Mais je ne sais pas comment ça va finir, et la ville commence à en avoir assez. »

J'apprends que Luc est né et a grandi à Calais. Au fil des ans, il a observé la crise s'aggraver, notamment dans le cadre de son travail de pompier. « Je dirais que je prends part quotidiennement à entre 5 et 10 interventions liées aux migrants. Je me souviens d'un type qui a été transporté en ambulance après s'être cassé le bras. Le jour suivant, il est revenu pour faire enlever son plâtre, parce que ça se voyait trop. »

Récemment, Luc a acheté sa première maison dans la localité, mais il dit qu'elle a déjà perdu 30% de sa valeur. « La plupart des gens essaient de quitter Calais », me dit-il tandis que le vent mugit autour de nous. « Personnellement, je n'ai aucun problème avec les migrants, mais un sentiment d'insécurité règne dans la ville. Je comprends qu'il y a la guerre dans leur pays, mais maintenant la guerre est ici. »

Stefan Maier, employé du HCR en charge de la protection, est préoccupé par la dégradation de la situation à Calais et il qualifie les conditions « d'épouvantables ».

Employé du HCR en charge de la protection

Stefan Maier enfile un gilet bleu du HCR et jette un oeil par les fenêtres qui longent le hall d'hôtel. « Il va pleuvoir aujourd'hui », dit-il. « On n'aura pas du beau temps. »

Stefan Maier comprend la situation ici à Calais mieux que beaucoup d'autres, ayant visité la ville à plusieurs reprises pour suivre les évolutions. Il est employé au HCR en charge de la protection au bureau du HCR à Paris, lequel s'inquiète de plus en plus des conditions de vie des migrants et des réfugiés. « La situation humanitaire est épouvantable ici », me dit-il, en zippant son sac à dos. « Les migrants sont en grande majorité des gens qui viennent de pays où les droits de l'homme sont bafoués et où la guerre fait rage. Du point de vue du HCR, il est essentiel de prévoir un système d'asile plus efficace et crédible. »

Dans l'avenir, il espère que les Gouvernements britannique et français pourront unir leurs forces pour trouver une solution. Les signes jusqu'ici sont prometteurs, précise-t-il, mais il reste encore beaucoup à faire. « Le ministre de l'Intérieur a annoncé récemment la création d'un centre de jour, qui comprendra des douches, des points d'eau et des services professionnels de restauration une fois par jour. Nous considérons que ces efforts représentent un progrès considérable, mais - à l'exception des femmes et des filles, qui auront accès à un dispositif d'accueil 24h/24 - cela restera un centre de jour. Nous pensons donc qu'il est important de réfléchir aussi à des mesures ou à des solutions d'hébergement transitoires. »

Stefan Maier, d'origine viennoise, a commencé sa carrière au HCR au Maroc en 2007. Il est ensuite déménagé en République démocratique du Congo avant de s'installer à Paris. À Calais, il trouve que le travail entrepris par les organismes de bienfaisance et les organisations non gouvernementales est un volet majeur dans l'aide aux réfugiés et aux migrants. Il trouve par ailleurs admirable la résilience des migrants eux-mêmes.

« Personnellement, ce qui ne cesse de m'étonner lorsque je suis ici, c'est de voir les retraités et les bénévoles, qui travaillent pour différents organismes de bienfaisance, distribuer de la nourriture et des vêtements », dit-il, en sortant de l'hôtel pour s'élancer sous la pluie. « C'est très poignant de voir à quel point les migrants ont préservé leur humanité en dépit des risques considérables, des blessures et des menaces. »

La maire de Calais, Natacha Bouchart, a demandé de l'aide pour gérer l'afflux de migrants dans sa ville, mais comprend leur situation critique. UNHCR/Julien Pebrel

La maire

Dans le majestueux hôtel de ville de Calais, où une tour d'horloge haute de 74 mètres sonne midi, Natacha Bouchart s'installe derrière son bureau. « Nous avons besoin d'une solidarité réciproque entre chaque pays », dit-elle, en faisant référence à la situation dans la ville. « L'hypocrisie européenne ne peut pas continuer. »

Natacha Bouchart est Maire de Calais et Vice-présidente de la communauté d'agglomération du Calaisis depuis 2008. Bien qu'elle comprenne la situation critique des migrants et des réfugiés, elle estime que la ville ne peut plus accueillir d'autres personnes et a demandé de l'aide. « L'afflux de migrants à Calais a provoqué beaucoup de dégradation tant dans des squats privés que publics », explique-t-elle. « Il y a beaucoup de conflits entre les migrants et les résidents de Calais, et nous n'avons pas les ressources nécessaires pour gérer cette situation. »

Fille d'un père arménien et d'une mère polonaise, Natacha Bouchart a convenu récemment avec le Ministre français de l'Intérieur d'ouvrir un centre de jour pour les migrants. La maire de Calais dit prévoir des problèmes importants pour le tourisme et l'économie locale, à moins que des mesures d'urgence comme celle-ci ne soient prises.

« Je lutterai pour l'humanité et la fermeté », ajoute-t-elle. « Il est de notre devoir de régler la situation à Calais. »

* Les noms ont été modifiés pour protéger l'identité des personnes.