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Dialogue du Haut Commissaire sur les défis de protection : Comprendre les causes profondes des déplacements et y faire face, Observations liminaires de M. António Guterres Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 16 décembre 2015

Discours et déclarations

Dialogue du Haut Commissaire sur les défis de protection : Comprendre les causes profondes des déplacements et y faire face, Observations liminaires de M. António Guterres Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 16 décembre 2015

17 Décembre 2015

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Aujourd'hui, le monde est à la croisée des chemins. Du point de vue humanitaire, cette situation est déterminée par deux problèmes majeurs, à savoir la multiplication apparemment incontrôlable de violents conflits, dans un contexte marqué par l'insécurité mondiale, et les effets croissants et omniprésents des catastrophes naturelles et du changement climatique, qui dessinent déjà les contours de notre présent et détermineront davantage notre avenir.

Au cours de ces dernières années, nous avons observé la multiplication vertigineuse des déplacements causés par des conflits et des catastrophes naturelles. Le nombre de personnes contraintes de fuir chaque jour par les conflits et les persécutions s'est pratiquement multiplié par quatre entre 2010 et 2014. La dernière décennie a également connu les trois années les plus chaudes jamais enregistrées, 2015 devant même être la pire des années. La forte augmentation des besoins humanitaires qui en résulte dépasse de loin la capacité du système humanitaire international à garantir un minimum de protection et à assurer l'assistance vitale en faveur de toutes les personnes touchées.

Ces deux problèmes majeurs, que sont les conflits et le changement climatique, soulignent la nécessité fondamentale du leadership politique et de la bonne gouvernance.

Le fait que nous assistions au déclenchement d'un nombre si important de nouvelles crises, sans qu'aucune des anciennes ne soit réglée, illustre clairement l'absence de capacité et de volonté politique de mettre fin aux conflits, voire de les prévenir. Le résultat est que l'imprévisibilité et l'impunité gagnent du terrain d'une manière alarmante.

Par ailleurs, l'accord historique conclu samedi dernier sur le changement climatique, après beaucoup d'années de négociations, constitue un tournant décisif dans la manière dont le monde gère l'un des problèmes les plus complexes auxquels nous faisons face aujourd'hui. Le Sommet de Paris est une victoire pour la gouvernance mondiale, même s'il ne fait que souligner la nécessité d'assurer le leadership politique pour traduire en actes les engagements souscrits.

Parmi les nombreux facteurs entraînant les déplacements, les conflits et les catastrophes naturelles sont en effet les plus importants. Toutefois, nous avons souvent tendance à trop simplifier ces concepts, pour considérer les crises humanitaires en termes de dichotomie entre les conflits et les catastrophes naturelles. Nous les considérons comme étant deux grands courants de déplacement. Nous mesurons leurs conséquences différemment. Nous concevons les réponses à y apporter différemment. Si, dans la pratique, des arguments pourraient être invoqués en faveur de cette manière d'agir, il en résulte une fragmentation et une tendance renforcée à nous concentrer sur la réponse d'urgence immédiate, sans suffisamment analyser le facteur responsable en premier lieu de la situation.

Je considère le présent Dialogue comme l'occasion de prendre du recul pour examiner les causes profondes des déplacements, telles qu'elles sont, à savoir multiples, liées, se recoupant et se renforçant les unes les autres, c'est-à-dire des facteurs qui s'accumulent et qui contribuent en fin de compte à contraindre les gens à fuir leurs maisons. Les violents conflits, tout comme les violations des droits de l'homme et les persécutions, ne sont pas une génération spontanée. Ils sont le résultat final d'interactions complexes de problèmes comme l'inégalité et la marginalisation, l'absence de bonne gouvernance et de l'état de droit, la lutte pour le contrôle des ressources de plus en plus rares dans un contexte marqué par la croissance démographique et une urbanisation chaotique, problèmes souvent exacerbés par la dégradation de l'environnement et les effets du changement climatique. Dans un excellent document d'information préparé pour ce Dialogue, l'Observatoire des situations de déplacements internes fait une distinction très utile entre les facteurs de déplacement à plus long terme, moins visibles, et les événements déclencheurs immédiats comme l'éclatement de combats - ceux-ci étant souvent les résultats de ceux-là.

Il est évident que nous ne saurions traiter ces causes d'une manière isolée. Nous devons les examiner ensemble. Une analyse plus approfondie des conflits exige toujours une perspective non seulement historique, mais aussi géographique et environnementale. Par exemple, la sécheresse et d'autres risques environnementaux peuvent jouer un grand rôle dans la naissance des conflits. On sait très bien que la rareté de l'eau alimente souvent les tensions entre les communautés d'éleveurs et d'agriculteurs, ce qui a été l'une des causes profondes du conflit ayant eu lieu au Darfour. Le déplacement provoqué par la sécheresse d'environ 1,5 million de Syriens, des zones rurales vers les zones urbaines, entre 2007 et 2010, a contribué aux facteurs ayant entraîné en fin de compte le déclenchement du conflit actuel. Le phénomène n'est pas nouveau, loin s'en faut. Bon nombre d'historiens considèrent que les mauvaises conditions météorologiques avaient joué un grand rôle dans la Révolution française, lorsque les paysans s'étaient révoltés après de mauvaises récoltes et l'augmentation des prix des denrées alimentaires.

Le leadership et la volonté politique sont essentiels pour mettre fin aux violents conflits ayant provoqué le déplacement de dizaines de millions de personnes, et maîtriser en fin de compte la progression du réchauffement de la planète. Toutefois, la coopération pour le développement doit entretemps jouer un rôle important dans les efforts visant à s'attaquer aux causes profondes des déplacements. M'appuyant sur les bases posées par l'Agenda 2030 pour le développement durable et son engagement à n'abandonner personne, j'entrevois quatre priorités en matière de coopération pour le développement dans l'avenir, à savoir l'adaptation au changement climatique, un meilleur lien avec la mobilité humaine, les solutions durables et la prévention des conflits.

Tout d'abord, le changement climatique. Les politiques de coopération pour le développement doivent beaucoup mettre l'accent sur l'adaptation au changement climatique et la réduction des risques de catastrophes, en particulier pour les couches les plus vulnérables des populations exposées. En assurant la résilience des communautés et en leur garantissant des moyens d'existence, on pourrait réduire les souffrances, prévenir les déplacements et accroître la capacité des personnes touchées à faire face aux catastrophes naturelles récurrentes.

Dans ce contexte, je suis extrêmement ravi de voir que l'accord de Paris fait spécifiquement mention de la migration et du déplacement comme étant des conséquences possibles du changement climatique, et exhorte les États à tenir compte, dans leurs politiques, de la protection des personnes déplacées de ce fait. Au cours des trois dernières années, l'Initiative Nansen, qui est un processus consultatif des États dirigés par la Norvège et la Suisse, a effectué un travail extrêmement important à cet égard. L'Agenda de protection qu'elle a récemment adopté à Genève, lors de sa réunion finale de consultation, trace la voie à suivre. Le HCR est prêt à contribuer à cet effort dans l'avenir, en s'appuyant sur l'engagement énoncé à cet égard dans l'accord de Paris.

En deuxième lieu, il doit y avoir un lien plus solide entre la coopération pour le développement et la mobilité humaine. Les politiques de développement doivent viser à créer les conditions permettant aux populations d'être en mesure de rester et de ne pas être contraintes de se déplacer, et ce, afin de leur assurer un avenir meilleur dans leurs propres pays, pour surtout faire en sorte que la migration soit un choix et non un besoin lié au désespoir.

En troisième lieu, les solutions durables en faveur des populations déplacées doivent, de toute évidence, être une priorité de développement. Avec des millions de personnes coincées dans des situations de déplacement depuis des années, voire des décennies, et les solutions durables « classiques » n'étant disponibles que pour un petit nombre, on tend de plus en plus vers des stratégies de solutions globales combinant une diversité d'approches. Toutefois, pour que le mécanisme fonctionne, il faut un engagement prévisible et pluriannuel, et les acteurs du développement ont un rôle essentiel à jouer à cet égard. Des initiatives comme l'Alliance pour les solutions peuvent beaucoup contribuer à promouvoir l'appui à ces stratégies de solutions, comme nous le verrons plus en détail par la suite, lors de l'une de nos sessions thématiques.

La recherche de solutions durables doit également intégrer la lutte contre l'apatridie qui, selon des estimations, touche au moins 10 millions de personnes à travers le monde et contribue à un grand nombre de déplacements internes et externes. La campagne du HCR visant à mettre fin à l'apatridie d'ici à 2024 a pour but de mobiliser des actions au plan national et international en vue de prévenir les nouveaux cas et de veiller à ce que chacun puisse jouir du droit d'avoir une nationalité. Dans ce domaine également, la coopération pour le développement peut apporter une importante contribution.

Enfin, les interventions en matière de développement sont essentielles pour la réussite de la prévention des conflits et de la stabilisation régionale. Les politiques et priorités de la coopération pour le développement doivent en tenir compte et mettre plus d'accent sur l'appui aux États fragiles et sur la promotion de la bonne gouvernance et de l'état de droit. Les systèmes de justice fonctionnels, l'efficacité des pouvoirs publics et l'existence d'institutions nationales capables d'assurer la sécurité des citoyens et de leur offrir des emplois sont indispensables pour rompre les cycles de violence et de criminalité qui sont souvent à la base de tensions plus graves. Si elles sont bien conçues, les politiques de coopération pour le développement peuvent également soutenir les efforts visant à assurer l'obligation de rendre compte des violations des droits de l'homme et l'accès à la justice, et même contribuer aux mesures visant à lutter contre l'exclusion sociale, l'extrémisme et les divisions sectaires.

Établir un lien entre la coopération pour le développement et la prévention des conflits signifie également fournir plus d'appui aux pays accueillant de grands nombres de réfugiés, souvent à un prix énorme pour leurs propres économies et sociétés. Les États comme le Liban, la Jordanie et la Turquie, les Républiques islamiques d'Iran et du Pakistan, le Kenya et l'Éthiopie, le Cameroun, le Tchad et le Niger, l'Ouganda et la République-Unie de Tanzanie fournissent au monde un bien public global, en accueillant des millions de réfugiés provenant des pays voisins déchirés par la guerre. Ce faisant, ils contribuent à la stabilité régionale et sont maintes fois la première ligne de défense de notre sécurité collective.

Ces États ont besoin d'un plus grand appui de la communauté internationale pour faire face aux conséquences d'un déplacement aussi massif. Toutefois, certains d'entre eux sont des pays à revenu intermédiaire, donc exclus de plusieurs instruments de coopération pour le développement. Cette situation doit changer. Les États doivent revoir les politiques existantes, afin de permettre aux acteurs du développement de travailler côte à côte avec les acteurs humanitaires, dès le début de la réponse à une crise, pour aider à stabiliser les populations, soutenir les communautés d'accueil et prévenir de nouveaux cycles de violence.

Pour notre travail d'acteurs humanitaires, il est indispensable de préserver l'autonomie de l'espace humanitaire et de garantir le respect des principes d'indépendance, de neutralité et d'impartialité. En concevant leurs programmes de coopération pour le développement, les États doivent aussi reconnaître que, du point de vue de l'analyse stratégique, les questions humanitaires, de développement et de sécurité sont les trois faces d'une même réalité complexe, qui doivent toutes converger en fin de compte vers les objectifs de prévention et de résolution des conflits.

Mesdames et Messieurs,

Le moment est venu d'effectuer un changement radical dans les efforts internationaux visant à résoudre le problème des déplacements. En tant qu'humanitaires, nous sommes supposés être les premiers à répondre, mais nous avons atteint le point de rupture. Nous ne saurions continuer à traiter les symptômes alors qu'il s'agit de soigner la maladie, comme si cela n'était possible que dans un monde idéal. Nous devons cesser de nous intéresser uniquement aux conséquences des déplacements, et commencer sérieusement à nous attaquer à leurs causes profondes.

Les deux prochains jours nous offrent l'occasion d'affiner notre analyse et de commencer les débats sur les moyens pratiques d'aller de l'avant. Toutefois, nous savons déjà une chose : les facteurs les plus courants, qui contraignent les gens à fuir, sont essentiellement politiques, et il incombe principalement aux États de s'y attaquer. La conférence COP21 nous a permis d'espérer que la volonté politique de faire face au changement climatique existe. Toutefois, aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin d'une poussée diplomatique en faveur de la paix, sous la direction de médiateurs honnêtes, capables d'amener autour d'une même table tous ceux dont l'influence sur les parties aux conflits d'aujourd'hui leur confère la responsabilité d'aider à arrêter les combats.

Je vous remercie de votre présence et me réjouis d'avance du fait que nos discussions seront franches et édifiantes.

Merci beaucoup.