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Dialogue du Haut Commissaire sur les défis de protection ; « Protection des déplacés internes : défis pérennes et idées nouvelles » ; Remarques liminaires de M. António Guterres Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

Discours et déclarations

Dialogue du Haut Commissaire sur les défis de protection ; « Protection des déplacés internes : défis pérennes et idées nouvelles » ; Remarques liminaires de M. António Guterres Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

19 Décembre 2013

Palais des Nations, Genève, 11 décembre 2013

Tel que prononcé

Excellences, Mesdames et Messieurs, chers amis,

Permettez-moi d'ouvrir le débat par quelques remarques liminaires. Nos Dialogues antérieurs n'ont pas simplement constitué des plateformes de discussion utiles à l'intention d'un large éventail d'acteurs et de partenaires, mais ont également inspiré un certain nombre d'approches concrètes et créatives pour relever les défis de protection en cours et émergents. Je suis convaincu que la participation active de tous lors de cette réunion portera de semblables fruits.

Permettez-moi de commencer par l'évocation de la nature de l'engagement du HCR en faveur des déplacés internes. Concernant les réfugiés, qui sont à l'extérieur de leur pays d'origine, nous avons une responsabilité statutaire en vertu du droit international qui nous enjoint d'oeuvrer avec les Etats à la fourniture d'une protection et à la recherche de solutions durables. Notre engagement auprès des déplacés à l'intérieur de leur pays d'origine s'intègre dans une responsabilité interinstitutionnelle collective au sein de laquelle nous apportons nos compétences en matière de protection et notre expérience en matière d'opérations pour la fourniture d'abris et la gestion ainsi que la coordination des camps et des zones d'installation. Le HCR et d'autres organisations jouent un rôle d'appui dans ces situations, dans la mesure où ce sont les Etats qui assument la responsabilité primordiale de la protection des déplacés internes -- tout comme celle de tous leurs autres ressortissants.

Le déplacement interne est tout particulièrement complexe dans les situations où l'Etat concerné ne peut -- ou ne veut -- protéger ses ressortissants déplacés. Cette question a fait couler beaucoup d'encre ces dernières années et a fait ressortir tout l'intérêt des initiatives telles que la Convention de Kampala sur les déplacés internes dans le cadre des efforts de l'Union africaine. Il y a un an, l'entrée en vigueur de cet instrument international remarquable, ayant force de loi, sur le déplacement interne a constitué une réaffirmation puissante de la part des Etats concernant leurs responsabilités et leur engagement à se doter de systèmes de protection plus efficaces pour leurs nationaux déplacés. Le continent africain doit être loué pour cette initiative pionnière, lui qui s'était déjà illustré il y a 44 ans avec la Convention de l'OUA sur les réfugiés. La Convention de Kampala constitue un jalon crucial qui, je l'espère, sera imité par d'autres Etats et organisations au plan régional.

Depuis l'élaboration des Principes directeurs sur le déplacement intérieur il y a une quinzaine d'années, le nombre de personnes déracinées à l'intérieur des frontières de leur propre pays a augmenté de plus de 50 pour cent. Au début de 2013, on comptait presque 29 millions de personnes déplacées à l'intérieur du territoire du fait du conflit et de la violence, et ce chiffre s'est encore accru en 2013 -- notamment en République arabe syrienne, en République centrafricaine et à l'est de la République démocratique du Congo. Cette augmentation constitue le pendant d'un accroissement des exodes de réfugiés, le monde ayant enregistré deux millions de nouveaux réfugiés en 2013, soit le nombre le plus élevé de nouveaux arrivants de ces 20 dernières années.

Tout comme les réfugiés, les déplacés internes trouvent souvent refuge dans les régions les plus pauvres et les plus marginalisées du pays, manquant d'infrastructure adéquate pour faire face à l'afflux de population. Mais ils sont souvent plus difficiles à atteindre, dans la mesure où bon nombre d'entre eux se trouvent dans des zones de conflit. Très souvent, le déplacement interne n'est pas simplement une conséquence des violations des droits humains, mais il prolonge et renforce les formes de discrimination ainsi que les violations des droits humains. Les minorités ethniques et les populations autochtones ne le savent que trop. En conséquence, des millions de personnes déracinées à l'intérieur de leur propre pays sont contraintes de vivre dans des conditions extrêmement difficiles, précaires et dangereuses.

Je suis préoccupé de voir que l'ampleur et la complexité du déplacement interne n'a pas galvanisé l'attention internationale que cette question mérite. La nature prolongée de bon nombre de ces situations ne mobilise pas l'attention des médias. Il se peut également, et c'est une tendance qui s'est manifestée ces derniers temps, y compris au sein du système des Nations Unies, que les besoins des déplacés internes soient combinés avec ceux d'autres personnes sous des concepts plus généraux de « population touchée » ou sous la catégorie parfois mal comprise de la « protection des civils », affaiblissant l'attention réservée par les institutions au déplacement interne. Toutefois, les déplacés internes ont des besoins de protection différents de ceux d'autres nationaux au sein d'un conflit, et nécessitent à ce titre une attention spéciale. Le déplacement implique per se une vulnérabilité qui exige des réponses spécifiques. Cette préoccupation est la principale motivation derrière le choix du thème de ce Dialogue qui, je l'espère, permettre de mieux cibler l'attention internationale sur les défis de protection spécifiques des personnes déplacées afin de mobiliser un engagement concret et commun à la poursuite de solutions efficaces.

* * *

Chers amis,

Il y a huit ans, la réforme humanitaire et l'adoption de l'approche modulaire ont fondamentalement changé la manière dont nous travaillons avec les Etats afin de répondre aux besoins des personnes déplacées à l'intérieur des frontières de leur propre pays. Tout récemment, de concert avec les partenaires du Comité permanent interinstitutions et sous l'égide du Coordonnateur des secours d'urgence, le HCR a investi beaucoup de temps et de ressources à l'élaboration et la mise en oeuvre de l'Agenda transformatif.

Ces efforts ont permis de rendre la réponse humanitaire de la communauté internationale au déplacement interne plus prévisible et opportune. Les modules globaux ont constitué des plateformes importantes pour le partage de savoirs, l'amélioration des orientations et l'élaboration d'outils pratiques visant à aider les acteurs humanitaires à mieux oeuvrer au niveau des pays. Je tiens à réaffirmer ici l'engagement résolu du HCR à améliorer encore la coopération interinstitutions en faveur des déplacés internes. Nous reconnaissons qu'il reste encore beaucoup à faire pour veiller à ce que les cadres et les outils que nous avons élaborés contribuent davantage à améliorer la protection et l'assistance aux personnes sur le terrain. Tel est particulièrement le cas pour la recherche de solutions où nous devons adopter une approche beaucoup plus holistique. J'espère que ce Dialogue engendrera des idées nouvelles pour l'élargissement et l'approfondissement de nos partenariats afin de revitaliser nos réponses au déplacement interne et notre ciblage sur les solutions.

* * *

Mesdames et Messieurs,

On nous demande souvent ce que signifie la protection des déplacés internes qui, après tout, sont les ressortissants de leur pays, jouissant des mêmes droits que d'autres nationaux. Contraints de fuir leur foyer, souvent sans papier, ils n'ont pas accès aux services de base et courent un risque accru de discrimination, d'exploitation et de violence sexuelle et de genre. D'innombrables familles sont séparées au cours de la fuite. De nombreux enfants traumatisés ont besoin d'un appui psychosocial. Le HCR, ainsi que nos partenaires dans le cadre des modules, travaillent étroitement avec les autorités nationales afin de renforcer leur capacité pour faire face aux besoins des personnes déplacées. Cela inclut les services de protection spécifiques tels que l'enregistrement et l'établissement de profils, le plaidoyer fondé sur la communauté et les dispositifs d'appui, les projets de coexistence pacifique ainsi que les activités visant à autonomiser les personnes courant le risque de violence ou d'exclusion. Le HCR travaille également avec de nombreux acteurs pour veiller à ce que les services et l'assistance fournis aux déplacés internes tiennent particulièrement compte des besoins spécifiques des hommes, des femmes, des garçons et des filles, et que les personnes handicapées ou les groupes minoritaires puissent faire valoir l'intégralité de leurs droits.

Pour le HCR, les priorités au niveau de la réponse de protection peuvent être décrites comme un « triangle vertueux » : prévention et réponse à la violence sexuelle et de genre, renforcement de la protection des enfants et garantie d'une éducation de qualité pour tous. Nous estimons que l'établissement de papiers d'identité pour les personnes déplacées constitue une autre priorité fondamentale, sans oublier l'enregistrement des naissances, qui peut contribuer à éviter l'apatridie pour les enfants nés de parents déplacés.

Afin de renforcer les activités fondées sur les droits de l'homme que nous déployons dans le cadre des activités de protection sur le terrain, le HCR s'efforce d'aider les gouvernements à élaborer des politiques et des législations nationales sur le déplacement interne. Au niveau mondial, notre partenariat avec l'Union interparlementaire vient d'aboutir à la publication de notre premier manuel commun sur le déplacement interne à l'intention des législateurs, conçu comme un instrument efficace pour le plaidoyer et l'action au niveau national.

J'aimerais faire encore une remarque sur la protection. Il y a encore beaucoup de gens pour qui la protection vient comme une arrière-pensée, une activité additionnelle qui viendra s'ajouter à la logistique, une fois que les tentes et les vivres auront été distribués et que les points d'eau et les dispensaires auront été aménagés. La protection est l'objectif ultime de toutes ces activités de survie. Mais en outre, nous devons reconnaître que les services de protection sauvent des vies, tout comme les tentes et les couvertures. Un enfant qui a besoin de retrouver sa mère vous le dira ; une femme exposée à un dispositif d'accueil propice à l'exploitation vous le dira ; un garçon courant le risqué d'être enrôlé dans des groupes armés vous le dira également. La protection doit faire partie intégrante de tous nos efforts dès le départ, parmi tous les services et tous les secours que nous organisons, et elle doit rester la priorité tout au long du cycle du déplacement. La réponse aux besoins de protection conduit à la résolution du déplacement interne. Et comme l'expérience l'a montré, la recherche de solutions au déplacement fait partie intégrante de l'action visant à mettre fin au conflit et à établir la paix.

* * *

Mesdames et Messieurs,

La récente tragédie du typhon Haiyan qui a dévasté les Philippines a, une fois encore, mis en exergue la difficulté inhérente à la fourniture rapide d'une assistance dans le cadre d'une catastrophe naturelle tout en veillant à ce que l'aide atteigne les plus déshérités. Nous nous efforçons de veiller à ce que notre rôle global en tant que responsable du module de protection guide les approches spécifiques nécessaires pour veiller à ce que les déplacés internes soient protégés en cas de catastrophe naturelle. Au niveau des pays, nous complèterons les efforts des gouvernements et d'autres acteurs de protection. Alors que notre rôle d'animateur global concernant les abris d'urgence et la gestion des camps se limite aux situations de conflit, nous nous emploierons à répondre aux catastrophes naturelles à la demande expresse de l'Etat concerné, du Coordonnateur des secours d'urgence et de nos partenaires interinstitutions. Comment pourrions-nous ne pas nous montrer solidaires des victimes de catastrophes naturelles dans des pays comme le Pakistan et les Philippines -- des partenaires généreux du HCR -- si nous sommes sollicités pour le faire et si, de fait, nous en avons la capacité?

Il va sans dire que les causes du déplacement internes sont complexes et qu'elles vont plus loin que le conflit et la violence. Bon nombre de ces causes sont liées aux tendances globales qu'elles renforcent, telles que le changement climatique, la croissance démographique, l'urbanisation et l'insécurité alimentaire, hydrologique et énergétique croissante. Le changement climatique a notamment un effet multiplicateur sur d'autres phénomènes et aggravera, sans nul doute et de façon significative, l'ampleur et la complexité du déplacement et de la mobilité des populations à l'avenir.

Le consensus qui se dégage à l'heure actuelle veut que l'essentiel des mouvements qui se produiront le seront dans le cadre des frontières nationales. Mais des gens pourraient également être contraints de quitter leur pays du fait de catastrophes naturelles liées au changement climatique et à d'autres risques environnementaux. Ces personnes se trouveraient clairement devant une lacune de protection. C'est pour moi une source d'encouragement de voir que, suite à notre réunion ministérielle de décembre 2011, un groupe d'Etats ont lancé l'Initiative Nansen sur les catastrophes naturelles et le déplacement transfrontalier pour examiner comment mieux répondre au déplacement extérieur lié au changement climatique. Nous travaillons étroitement avec l'OIM, le Conseil norvégien pour les réfugiés ainsi qu'un éventail de partenaires pour veiller à ce que la dimension de la mobilité humaine ne soit pas négligée lors des négociations actuelles sur le changement climatique.

Mesdames et Messieurs,

L'une des problématiques les plus délicates au niveau de la protection et de l'assistance des personnes déracinées est la recherche de solutions. Trop de déplacés internes connaissent aujourd'hui un déplacement de cinq ans ou davantage, et un grand nombre d'entre eux est déplacé pour la deuxième ou même la troisième fois en raison du manque de perspectives, de sécurité ou d'intégration durable. La recherche de solutions pour ces personnes nécessite la volonté politique de s'attaquer aux causes profondes. Un plaidoyer résolu est donc nécessaire de la part de la communauté internationale pour veiller à ce que les processus de paix, le cas échéant, intègrent les préoccupations et les besoins des déplacés internes ainsi que ceux de leurs communautés hôtes, et ce sous l'angle de la sécurité des personnes. La résolution récemment adoptée par l'Assemblée générale sur la protection et l'assistance aux déplacés internes constitue une étape encourageante dans ce sens.

Pour résoudre la problématique du déplacement, les institutions humanitaires doivent également orienter leurs programmes vers la recherche de solutions dès le début d'une situation d'urgence, et les acteurs du développement intégrer au plus vite ce paramètre. Cela signifie que les déplacés internes doivent participer à la planification et aux décisions en matière de développement qui auront un impact à plus long terme sur leur vie et leur bien-être. Cela signifie également l'établissement de liens solides, durables et organiques entre les programmes humanitaires et du développement, et une collaboration plus étroite avec les autorités nationales, la société civile et les communautés touchées ainsi que leurs représentants politiques.

C'est l'un des objectifs du Cadre du Secrétaire général pour les solutions durables établi en 2011. En vertu de ce cadre, le HCR s'engage sans réserve à appuyer les équipes des Nations Unies dans les pays, de concert avec le PNUD, pour réunir les conditions propices à la résolution du déplacement. S'il entend être efficace, l'Agenda des Nations Unies pour le développement post-2015 ne saurait ignorer la problématique du déplacement.

En lien avec la difficulté de mettre en oeuvre des solutions, il convient de prendre conscience de la tendance croissante aux déplacements internes secondaires qui voient des centaines de milliers de personnes graviter vers les villes. Au risque de devenir invisibles ou de rechercher à dessein l'anonymat, les déplacés internes s'établissent souvent dans des zones urbaines précaires telles que les bidonvilles où ils sont exposés au danger. Cette tendance à l'urbanisation du déplacement interne nécessite une réorientation des approches adoptées par les acteurs humanitaires et du développement ainsi que les autorités nationales afin de mieux cibler l'assistance sur les mécanismes fondés sur la collectivité ainsi que le renforcement et l'ouverture des services existants. Toutefois cela ne saurait se faire si l'on ne tient pas compte des besoins de protection spécifiques des déplacés internes afin d'éviter une marginalisation plus grave encore.

* * *

Mesdames et messieurs,

En conclusion, permettez-moi de citer certains des fruits que j'attends de ce Dialogue. Bon nombre d'entre vous partagent notre préoccupation concernant le fait que la protection des déplacés internes ne figure pas au rang des priorités nationales, régionales et internationales. J'espère que notre débat nous permettra de trouver le moyen de renforcer notre plaidoyer commun dans ce domaine, à l'appui du Rapporteur spécial, le Professeur Beyani, que nous sommes heureux d'accueillir parmi nous aujourd'hui. J'aimerais également remercier l'ex-Représentant spécial du Secrétaire général, le Professeur Walter Kälin, aujourd'hui parmi nous, ainsi que naturellement Monsieur Francis Deng qui a conduit le travail d'élaboration des principes directeurs sur les déplacements internes il y a 15 ans.

Dans la mesure où les Etats jouent un rôle primordial dans la protection de leurs ressortissants déplacés, cette réunion est également l'occasion pour eux d'échanger leurs expériences, tant celles qui ont permis de résoudre les situations de déplacement interne que celles qui ne sont pas encore tout à fait concluantes.

Sous l'angle de nos propres efforts en tant qu'organisation humanitaire, j'estime que ce Dialogue nous offre la possibilité d'identifier collectivement ce dont nous pourrions avoir besoin pour aider mieux ou différemment les personnes déplacées et trouver des solutions à leur sort.

Enfin, d'espère également que nos discussions contribueront au jaillissement d'initiatives de solutions, particulièrement dans certaines situations de déplacement prolongées. Le renforcement de nos partenariats, avec les Etats ainsi qu'avec nos partenaires, y compris la communauté du développement, sera indispensable à cette fin.

Je vous remercie tous de vous être joints à nous aujourd'hui et me réjouis par avance de discussions franches et éclairantes.

Merci beaucoup.