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Questions/Réponses : Alixandra Fazzina, photo-journaliste et lauréate 2010 de la distinction Nansen

Articles et reportages

Questions/Réponses : Alixandra Fazzina, photo-journaliste et lauréate 2010 de la distinction Nansen

9 Juillet 2010
Alexandra Fazzina, une photo-journaliste britannique, est lauréate de la distinction Nansen 2010 pour les réfugiés. Cet hommage lui est rendu pour son témoignage sur les souffrances humaines causées par la guerre.

GENÈVE, 9 juillet 2010 (HCR) - La photo-journaliste Alixandra Fazzina se voit décerner, par le HCR, la distinction Nansen pour les réfugiés, en récompense de ses reportages saisissants sur les souffrances humaines causées par la guerre. Travaillant dans des zones reculées et souvent dangereuses, elle décrit la détresse des personnes déplacées, avec compassion et empathie. Ses articles ont été publiés dans la plupart des grands médias à travers le monde, et elle parvient à susciter l'intérêt et la sympathie pour les individus dont elle dresse le portrait. Elle est également l'auteure d'un livre, intitulé « A Million Shillings - Escape From Somalia ». Il dépeint l'exode des migrants et des réfugiés empruntant les itinéraires de traite d'êtres humains, entre la Somalie et la péninsule Arabique. Elle a récemment évoqué son travail et sa réaction suite à l'annonce de son prix, avec Melissa Fleming, Directrice de la communication du HCR. Extraits :

Votre travail porte essentiellement sur les conséquences humanitaires de la guerre, alors que vous avez étudié les beaux-arts. Pour quelle raison avez-vous commencé à vous intéresser aux êtres humains les plus vulnérables ?

Lorsque j'ai commencé à travailler, j'étais journaliste auprès de différentes armées. J'en ai eu assez de ne pas pouvoir observer les répercussions des conflits. Je suivais les soldats, mais je ne voyais jamais ce qui arrivait aux civils. J'ai toujours voulu être la personne engagée au coeur d'une situation de crise, faisant connaître une autre version des faits. Prenons l'exemple de la Somalie et de l'histoire de la migration mixte dans le golfe d'Aden. J'avais juste lu quelques brefs articles, concernant la mort par noyade d'un nombre indéterminé d'individus lors de ces traversées. Personne n'avait auparavant fait connaître l'intégralité de l'histoire de ces personnes. Dans ce genre de situation, je me dis que quelqu'un doit y aller pour faire le récit de ce qu'il voit. Dans mon travail, l'essentiel est de parler des êtres humains. Sinon, il suffit de citer des statistiques. Les gens ne sont pas différents dans les autres parties du monde. Nous sommes tous des êtres humains.

D'une certaine façon, je suis moi-même une migrante, puisque je suis de nationalité britannique et je vis au Pakistan. Mais j'ai le choix de le faire, alors qu'un grand nombre de personnes n'ont absolument aucun choix. Chacun a, dans sa vie, l'idée d'améliorer sa situation. Il semble que ce soit une caractéristique prédominante chez l'être humain. Or, j'ai le sentiment que les gens qui essaient d'améliorer leur vie sont regardés avec mépris, et je pense que cette attitude doit changer.

Lorsque vous avez débuté, en Bosnie, de nombreux reporters couvraient la guerre. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de journalistes dans les situations de conflit. Avez-vous constaté une différence ?

Absolument. Un grand nombre des magazines pour lesquels je travaillais auparavant publiaient d'extraordinaires reportages photos consacrés aux actualités à l'étranger. Une grande partie des acteurs de ce marché ont disparu, mais je ne pense pas que les gens aient moins envie de voir ou de savoir ce qui se passe ailleurs. D'autre part, la tendance actuelle est plutôt aux articles sur les modes de vie, et moins aux récits difficiles qui décrivent les tristes réalités de la vie.

Quelle est la situation concernant des réfugiés ou des déplacés internes qui vous a le plus marquée, comme étant la plus atroce ?

Il serait difficile de dire laquelle fut la plus atroce. Je me souviens de mon séjour en Angola. J'étais allée derrière les lignes de front de l'UNITA [Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola, un parti politique] et j'avais observé cette population immense à laquelle personne n'avait accès. C'était comme si ces gens avaient été oubliés. La zone dans laquelle je travaillais avait été baptisée « El fin del mundo », la fin du monde. Et elle portait bien son nom. Il y avait des milliers et des milliers de personnes totalement isolées, et aucune aide ne leur parvenait.

L'histoire m'ayant profondément marquée a pour cadre la Somalie. J'ai commencé par suivre deux groupes de personnes, et l'un d'eux a embarqué sur un bateau. Il y avait 135 personnes au départ, et seulement 11 d'entre elles ont survécu. Je me souviens du chemin parcouru avec ces gens lors de leur dernier jour en Somalie. Ils affichaient tous une joie intrépide. Ils me connaissaient et m'ont donc demandé de les prendre en photo pour leurs derniers instants en Somalie. Savoir qu'ils n'ont pas survécu à la traversée, cela me hantera toute ma vie.

Ils ont pris un bateau de passeurs pour le Yémen ?

Exactement. Et lorsque je suis arrivée au Yémen pour les retrouver, ils étaient tous morts. Enfin, j'ai quand même retrouvé la trace de quelques-uns d'entre eux. Ils étaient profondément traumatisés d'avoir survécu à une telle situation. Les chances de se remettre totalement sont très minces. Le fait d'avoir été les témoins d'un si grand nombre de morts a eu un effet dévastateur sur eux.

Que souhaitez-vous accomplir grâce à vos photos ?

Personne ne se rend vraiment compte à quel point le monde bouge. Je suis britannique. Il y a quatre millions de britanniques qui travaillent à travers le monde, mais les étrangers qui arrivent au Royaume-Uni sont regardés de haut. Alors qu'ils le font exactement pour les mêmes raisons. J'estime qu'un changement d'attitude radical est nécessaire, et je pense que cette situation s'explique en partie par le fait que les gens pensent trop en termes de chiffres.

Je pense que la photographie a la capacité d'impliquer les gens. Nous vivons une période vraiment particulière. Lorsque vous tournez les pages d'un journal ou d'un livre, et voyez une photo, vous vous plongez réellement dans l'histoire. J'espère que mes photos peuvent permettre aux gens de s'arrêter un moment pour réfléchir, de prendre le temps de regarder, regarder correctement, et de s'impliquer dans le monde de façon légèrement différente.

Pour moi, la meilleure façon de changer les attitudes consiste à raconter l'histoire d'une personne et à montrer ce qu'elle a réellement vécu, en espérant que la réponse soit faite d'empathie. Mon objectif, c'est que les gens regardent mon travail et se disent « Mon dieu, c'est incroyable ce qui se passe là-bas ! », qu'ils se documentent sur la question, qu'ils comprennent quelque chose dont ils n'avaient jamais entendu parler, ou qu'ils voient des choses qu'ils n'avaient jamais pris le temps de regarder ou auxquelles ils n'avaient jamais pris le temps de penser.

Quelle est la série de photos qui, selon vous, a eu le plus d'impact ?

Je pense qu'il s'agit de l'histoire de Salima, une réfugiée somalienne de 19 ans que j'ai rencontrée au Yémen. Lorsque je l'ai vue pour la première fois, elle se trouvait dans la maison d'un passeur. Elle s'était retrouvée avec cette bande de trafiquants d'êtres humains, car elle n'avait plus rien. Elle avait quitté sa maison à Mogadiscio, après sa destruction par un obus de mortier ayant également tué son fils et son mari, alors qu'elle était sortie acheter du pain. N'ayant vraiment plus rien à perdre, elle décida de faire le voyage jusqu'au Yémen, mais elle était enceinte de plusieurs mois lorsqu'elle quitta Mogadiscio. Elle a accouché dans le bateau de passeurs assurant la traversée du golfe d'Aden. Ces derniers ont jeté le bébé par-dessus bord. Une fois débarquée, et après avoir transité par des centres de transit du HCR, elle est arrivée à Aden. Deux mois après avoir été mère et restant une adolescente, sa vie entière était totalement détruite. Elle était une proie facile pour les trafiquants d'êtres humains, qui avaient prévu de l'envoyer en Arabie saoudite. Lorsque je suis revenue la voir, deux semaines plus tard, elle avait disparu.

Vous êtes lauréate de la distinction Nansen, qu'est-ce que cela représente pour vous ?

Comme aucun autre journaliste ni photographe ne l'avait remportée avant moi, je ne pensais pas vraiment avoir une chance d'être la lauréate. Mais c'est vraiment incroyable, et un peu impressionnant.

Le fait que mon travail soit reconnu de cette manière est très encourageant, d'autant plus que l'essentiel vient de ma propre initiative. C'est une immense reconnaissance vis-à-vis de mon activité. Je pense que les gens devraient faire un peu plus attention au monde qui les entoure, et j'espère que ma récompense aura de l'effet à ce niveau.